Mémoires fragiles de Sahar El Echi explore les dynamiques de gentrification et les transformations urbaines de Cotonou. Ce projet s’inscrit dans une démarche transversale entre trois métropoles du continent africain : Casablanca, Cotonou et Tunis.

Mémoires fragiles explore la dialectique du développement urbain, oscillant entre construction et destruction, progrès et pertes. C’est dans ces interstices que ce triptyque géographique et culturel s’attache à révéler la densité de l’indicible, afin de mettre en lumière toute la portée et l’ampleur de ce qui se perd, se fragilise et enfin disparaît. 

À Cotonou, son attention se porte particulièrement sur des quartiers emblématiques en pleine mutation tels que Xwlacodji, le marché de Dantokpa et la Route des Pêches, dont l’existence est menacée. Inspirée par la démarche de l’écrivain Georges Perec, pour qui le lieu constitue un vecteur essentiel de mémoire et de récit, l’artiste investit l’espace urbain comme terrain de recherche et de création, articulant photographie, vidéo et écriture poétique.

Le processus de l’artiste repose sur une immersion et un dialogue avec les habitant·e·s : pêcheurs, vendeuses, usager·e·s des marchés et des espaces côtiers. Cette rencontre avec les territoires nourrit une réflexion sur l’identité mouvante des lieux, entre rémanence individuelle et collective, adaptation et résistance face aux mutations. En explorant la matérialité de l’image, du numérique à la photogravure, et en mobilisant la vidéo comme « photographie étendue », Sahar El Echi révèle la tension entre visible et imaginé, document et fiction, mémoire et effacement. Son œuvre saisit, avec poésie, les complexités urbaines, sociales et politiques de ces espaces en mouvement.



« Si un territoire ou un espace se transforme, il perd une partie de sa mémoire, de son identité, il va laisser place à autre chose. »

C’est cette réalité complexe que Sahar El Echi tente de saisir : ce qui disparaît, ce qui persiste, ce qui s’efface. Dédiés au tourisme ou à la construction d’infrastructures routières, divers projets urbanistiques ont entraîné la disparition de villages, quartiers, et la dispersion de leurs communautés.


Mémoires fragiles se conçoit comme une archive vivante, un témoignage de mémoires en voie d’effacement. Les revendications se sont essoufflées, laissant fragment par fragment s’évanouir des patrimoines et des histoires très peu documentés. Si l’espace urbain est généralement envisagé, comme un territoire à investir au nom du « développement », Sahar El Echi en révèle une autre dimension : des espaces vécus, cœurs de relations affectives, historiques, mémorielles et patrimoniales (savoir-faire, récits, langues).

C’est cet entrelacement qu’elle donne à voir, à travers les apparitions et disparitions d’images, métaphores visuelles de ce qui se joue dans l’ombre de ces projets. Son travail met en lumière un processus, où l’effacement des voix se confond avec l’inéluctable perte des lieux et des mémoires.